La Terre des Guaranis par Eugenio Corti
(Ed L'Age d'Homme)
1- La lecture de Paul Guyau
Mais pourquoi donc le dernier des romans d'Eugenio Corti traduit en français est-il passé sous silence ?
Loin d'avoir la réponse à cette question, je continue à ne pas comprendre une tel ostracisme et vais chercher à y remédier. Le Cheval Rouge n'avait obtenu qu'une partie de tout le retentissement qu'il méritait (et qu'il mérite encore) lors de sa sortie en 1998. Puis, dans une bien moindre mesure, son Caton l'Ancien n'avait suscité que quelques réactions, très élogieuses et à bonnes raisons, mais si peu nombreuses. Mais avec la Terre des Guaranis, c'est presque une chape du silence qui s'est abattue sur le livre lors de sa parution en France en octobre 2008. Pourtant l'intérêt de ce roman historique n'est pas en dessous des autres.
Que connaissez-vous du peuple guarani ? Je pense, même s'il est fort possible que je me trompe, qu'une bonne partie de mes lecteurs n'ont comme seule culture sur cette population sud-américaine, que le film anglais de Roland Joffé, Mission (palme d'or au festival de Cannes en 1986 et qui avait suscité de multiples réactions, il est vrai pas toujours positives à l'époque, et cela était mon cas. Mais ouvrez donc ce livre et vous y verrez beaucoup plus clair.
En 1740 (les premiers missionnaires étant arrivés dès 1585) quelques missionnaires jésuites vivent dans les terres guaranis, gérants des "re-ducciones", les réductions (des petites villes concédées aux pères jésuites par l'Espagne, au sud du Brésil actuel, des deux côtés du fleuve Uruguay). En 1604, le roi Philippe V a délégué aux jésuites une sorte de droit de propriété sur ces immenses exploitations et même un total pouvoir sur l'administration de ces régions qui forment alors le Paraguay, où tout Guarani converti a le droit de venir vivre et travailler. Les avantages y sont multiples.
L'impôt en nature (les feuilles de maté, le coton, le miel, les étoffes) qu' ils versent à la couronne d'Espagne est payé collectivement. Les champs de Dieu (Tupa-Mahè) sont cultivés deux jours par semaine sous la direction des jésuites pour le bien collectif. Ainsi, les peuplades sont en mesure de fournir le prix de leur appartenance à l'empire espagnol et échappent aux encomiendas. Le travail des jésuites est énorme car "le peuple indien, si touchant qu'il soit pour un coeur chrétien et si riche qu'il se montre de valeur désintéressée, incarne le contraire de l'efficacité économique".
Eugenio Corti nous fait donc suivre les pas de Nazareno, jeune guarani, homme le plus instruit de la réduction de San Pio V dont il est l'imprimeur, de son plus jeune âge jusqu'à l'âge de devenir grand-père. Mais la vie dans la cité n'est pas toujours très facile, contrairement à l'image rousseauiste de bon sauvage qu'on pouvait rencontrer dans le film Mission. Après la participation à la construction d'une nouvelle réduction au nord du fleuve, après quelques accrochages avec les "bandeirantes" portugais qui cherchent à faire des razzias d'esclaves pour les vendre dans les colonies portugaises, après le martyre du père Marcial de Iriarte qui marque à tout jamais la petite communauté, après le mariage du jeune Nazareno avec Magdalena (durant tout le roman et sur les quatre générations que l'on voit défiler, la famille de Nazareno est un modèle de famille chrétienne), les choses vont se compliquer terriblement. (...)